[Nouvelle]Perdre sa première vie

Assis au bureau de garde, il rédigeait son article. La nuit était calme, pour une fois, lui laissant un court moment pour écrire. Il en avait si peu... Plus le temps avançait, plus il avait l'impression de rentrer tard. Le temps passé chez lui s'amenuisait chaque jour. Mais il aimait son travail, et pour rien au monde il n'aurait voulu en changer.

Une sirène retentit au loin. Levant la tête, il vit la lumière rouge à l'entrée de la pièce clignoter. Voilà que sa véritable nuit commençait. Il rangea les feuilles eparpillées devant lui dans une chemise, et se leva. A peine avait-il enfilé une paire de gants que la porte des Urgences s'ouvrait brusquement.

-Homme, la quarantaine, victime d'un accident de voiture. Multiples lesions externes, hémoragies internes probables. Pouls irrégulier, état critique.
-Inutile de l'emmener en trauma, direction le bloc un en urgence. Prévenez l'équipe de garde, j'arrive.

Sa fatigue s'envolait, sa pensée travaillant à accomplir le seul but du médecin : "rétablir, préserver, promouvoir la santé du patient". Il connaissait maintenant le chemin par coeur : long couloir, ascenseur, nouveau couloir, porte battante, et le voilà au bloc. Machinalement, il tourne le robinet, enduit ses mains et avant-bras d'antiseptique, les rinces, les sèche. Une infirmière lui enfile sa tenue de bloc, une autre isole ses mains dans ces gants qu'il ne sent déjà plus. La porte s'ouvre. Son travail peut commencer.

La lame glisse sur la peau meurtrie. Tout à coup, le sang gicle. Tout le monde sait ce qu'il a à faire, les compresses volent, un bistouri s'avance. L'hémoragie cesse bientôt. Le patient est dans un sale état, mais il vit. C'est tout ce qui importe : la vie. Le chirurgien ne pense plus. Ses mains agissent seules, entament le délicat travail de réparation qu'elles doivent accomplir.

Une heure d'opération. Tout se passe bien. La tension de l'urgence a disparue, l'interne observe le maître à l'oeuvre, l'anesthésiste a les yeux rivés sur le moniteur. Tout se passe bien, mais chacun sait que celà peut changer d'un moment à l'autre. Le bloc, le seul endroit sur terre où le paradis peut devenir enfer en l'espace d'une infime fraction de seconde.

Soudain, l'écran s'affole. Le coeur saigne. Le chirurgien pose son scalpel, on lui tend une autre lame. Il ouvre, écarte les côtes. Il n'aura jamais le temps de réparer l'artère. La courbe est plate, un sifflement insuportable s'échappe du moniteur. Tout est finit. Il reste là, sans rien dire. Il a échoué. Pour la première fois de sa vie, il a touché un homme qu'il ne verrait jamais sourir, qui ne le remericera jamais. Tremblant, il lève les yeux vers l'horloge. Non... il ne pourra jamais... ce n'est pas possible. Ses lèvres parlent d'elles même, il ne veut pas... mais il doit.

-Heure de la mort, 03h34.

On recouvre le corps, l'endroit se vide. Il reste, le regard vide. Comment ? Il y a quelques minutes à peine, son coeur allait bien ! Pourquoi ? Pourquoi ?
Un murmure apparut dans sa tête... Les paroles de son mentor lui revinrent.

"Tu seras un chirurgien accompli quand ton premier patient claquera sur le billard. Tu ne comprendras pas, les mystères de la médecine te frapperont. A ce moment, tu te rendras compte que la vie est éphémère, que nous sommes là pour la sauvegarder. Mais que parfois, notre grande ennemie l'emporte sur nous, sans prévenir. Souvent, rien ne nous y prépare. C'est à ce seul moment que ta véritable carrière pourra commencer, car tu auras vu que finalement, nous sommes et restons des hommes, que même dans notre propre science, une infinité de choses nous échappe. Souviens-toi de ce que je te dis aujourd'hui. Tu n'y crois peut-être pas mais, un jour, proche ou lointain, tu comprendras."

La porte du bloc se ferma, les lumières disparurent, et la mort put savourer sa victoire.

Texte bien inspiré.
Malheureusement, à mon sens, le côté "trop" narratif empêche le lecteur de s'inclure à fond dans l'histoire, de vivre le ressenti du personnage, c'est dommage. Peut-être un peu plus de pensées, de sensations, ou en tout cas une description plus longues des quelques déjà éparpillées auraient eu un impact plus grand, à voir.

(:

Invité

Cher filleul, cher élève...

Parlons tout d'abord de la forme. Orthographe nickel, mise en page très agréable, rien à redire. Pour chipoter (mais vraiment c'est du chipotage !) pense à fermer les guillemets à la fin d'une phrase parlée. Le tiret ouvre le dialogue, les guillemets le ferment.

Ensuite, passons à l'écriture proprement dite. Langue maitrisée, phrases travaillées, rythme impeccable. Absolument rien à dire de ce coté là.

L'écrin est parfait. Vraiment. Tu as un niveau d'écriture vraiment très élevé.

Cependant, si la forme du texte est vraiment bonne, le fond l'est un peu moins. C'est une histoire. Elle n'est ni triste ni joyeuse. Elle n'emporte pas. Elle ne transporte pas. Elle ne déclenche aucune émotion. Aussi froide qu'une clinique, justement.

Ce qui manque à ton texte, ce n'est pas un bon sujet. Celui-ci est très bien! Il te manque la petite étincelle de génie, la part d'émotion, le vécu du personnage. Tu effleures sans t'enfoncer, tu froles une surface trop lisse alors que au dessous, il y a un torrent potentiel d'émotions.

Attarde toi sur des détails, des odeurs, des petits riens qui mettent le lecteur à l'intérieur de ton texte. Chope nous, obliges nous a vivre cette mort, à ressentir le désarois du chirurgien, fait nous gouter la saveur de la defaite et de la rancoeur.

Tu en as les outils : une maitrise impeccable. Affranchis toi de ta plume, pour ne te concentrer que sur ton coeur, et tu auras gagné.

[Avant-propos] Je sais que mes commentaires se ressemblent beaucoup. C'est peut-être tout simplement parce que je choisis de ne commenter que les textes qui m'inspirent ceci, cette sensation d'inaccompli perfectible. Je n'aime pas poster de commentaires négatifs, parce que je ne suis pas là pour enfoncer les auteurs de l'académie et parce que je suis loin d'être un écrivain respectable. [/Avant-propos]

Superbe texte, superbe idée. J'aime énormément la thématique et ta manière de la traiter, à la fois simple et efficace. L'ambiance fait vraiment "hôpital" et praticien froid et détaché, et l'ensemble textuel est particulièrement cohérent.

Mais j'arrête là de lancer des fleurs et t'encourage à revoir avant tout le rythme des phrases. Tout est très digeste, mais cet écrit gagnerait en souplesse phrastique : plus long et lent au début, un peu plus court pendant l'opération, pour céder la place à un rythme totalement haché durant la phase de perte de contrôle.
J'ajouterai aussi un choix judicieux dans les temps, mais là encore perfectible : un récit à l'imparfait qui passe au présent dans le feu de l'action, pourquoi pas ? Mais un récit au passé simple permettrait de garder une certaine cohésion dans les différentes phases, et de placer une véritable rupture avec un passage au présent simple dès lors que tout s'affole, pas avant.
J'applaudis aussi le choix du vocabulaire, mis à part le scalpel : c'est, comme tu l'avais cité auparavant, un bistouri... Je l'ai appris il y a peu, un scalpel ne sert que lors des autopsies et nécropsies ^^
Enfin, une petite incohérence : tu parles de la nuit du chirurgien au début, et le patient décède à 13h34... Quid ?

Voilà ^^

[Edit : ] Woah, l'énorme différence de ressenti entre nous, Cheffe ! Ca mérite une explication de texte de l'auteur, ça... Je t'attends de pied ferme ! [/Edit]

Merci à tous pour vos commentaires Smile

Une petite note, j'ai rédigé ceci assez rapidement, avant le début de mes cours, un peu comme ça sans préparation, sans vraiment me relire. Pendant mon cours d'anatomie je me suis aperçu de plusieurs modifications que j'aurais pu faire, notament au niveau du rythme, mais aussi du descriptif, que je travaille d'habitude bien plus.

Effectivement, j'ai un peu de mal à faire ressentir les émotions, sur ce point j'aurais tendance à m'appuyer sur le commentaire de Dounette, mettre des mots sur les battements du coeur... c'est un peu mon tendon d'achille.
Ici j'ai recherché un peu de distance, de froideur, car un bon chirurgien est avant tout un être distant et détaché dans le travail. Je laisse volontairement la porte ouverte à ce qui se passera à l'exterieur du bloc, mais tant qu'il est face à la table d'opération, il doit rester loin de ses propres émotions.
J'admets aussi que la fin est quand même bâclée, je ne mets pas assez en lumière la contradiction entre froideur professionnelle, et le désarroi face à ce décès...

@ Nekro : ayant une mère obstétricienne (et êtant moi-même en médecine à la poursuite d'une place à l'internat en chirurgie), je me permets de réctifier le point du scalpel. Effectivement, on parle plus souvent de scalpel en médecine légale, et de bistouri en chirurgie. Cependant, avec l'apparition du bistouri électrique, un trouve maintenant à nouveau des chirurgiens qui parlent de "scalpel" en médecine, pour ne pas confondre, bistouri servant alors exclusivement à désigner le bistouri électrique.
On désignera alors l'instrument simple servant à pratique l'incision par la longueur de sa lame Wink

Alors effectivement, parler de Scalpel en chirurgie est impropre, mais plus pratique, et traduit mieux ce qui se passe réellement dans les blocs de nos jours.

PS : j'ai corrigé l'incohérence relevée Embarassed

PS2 : ma réponse peut ressembler à une justification, elle n'en est pas une, juste un peu d'éclairement sur le texte Smile

merci pour vos commentaires, je n'en oublierais aucun pour mes écrits futurs !

Invité

Bon alors ^^

D'abord, j'aime beaucoup l'idée Smile

C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de textes semblables. Le docteur qui écrit, la sirène, le bloc, l'ambiance ....

Alors je passe dans les critiques, hop, comme ça !

Tout d'abord, sur le style, on se croirait un peu trop dans urgence. Vraiment un peu trop, ça fait spectacle plus d'autre chose :? C'est dommage, mais ce n'est pas si fréquent que ça Wink

Ensuite la scène de l'opération avec " Le sang qui gicle " ça fait un peu ... Tâche xD Non mais les actions ne sont pas assez vite enchainées, on ne rentre pas assez dans l'ambiance. Et cette phrase violente m'a perturbé Razz

Enfin voilà, je pense que c'est tout ^^

Je fais pas de commentaire sur l'intervention en elle même, je suis pas médecin, loin de là Wink

En tout cas, brave =) Au passage, tu fais quoi chez les élèves ?

Je vais faire court et j'ai eu la flemme de lire les long (trop ^^ ca en devient ennuyeux ^^) commentaires sur ce texte. C'est un bon texte, avec un bon sujet mais il manque le petit plus que l'on ne peut identifier, le petit plus qui fait en sorte que l'émotion du texte passe dans le lecteur. Sinon c'est un texte d'un excellent niveau. Continue comme cela mais ne force pas l'inspiration, laisse là venir, ça passera peut-êtr emieux.... Bon courage et bravo tout de même

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