Thomas se leva, absorbé par ses réflexions. Son trop-plein de pensées l'empêchait de tenir en place. Il refit pour la Xe fois le tour de sa cellule, marmonnant des mots sans queue ni tête pour un interlocuteur qui n'existait pas. Pris d'une inspiration soudaine, il s'empara d'une feuille sur le sol dans un coin de la pièce, du stylo posé à côté et s'assit sur sa couchette, bien décidé à écrire à nouveau à sa compagne, Lucie. Les mots vinrent tous seuls. Peut être à force de s'adresser à des personnes invisibles, l'homme savait exactement ce qu'il voulait dire. Et pendant plus de deux heures, il écrivit. Pour sa femme, la femme de sa vie. Pour leur fils, Sam, qui avait eu 10 ans le mois dernier. Il leur parla du manque, du vide que leur absence avait créé dans son cœur. Il leur parla de l'enfermement, de la prison, de cette 8ème et dernière année de réclusion qui serait suivie par une conditionnelle et un suivi psychologique. Meurtre avec circonstances atténuantes. Car Thomas était un psychopathe. Il y a huit ans, il avait sauvagement agressé deux personnes qui étaient mortes à l'hôpital, des suites de leurs blessures. Depuis, la douleur l'assaillait nuit et jour, sans un instant de répit. Voilà ce qu'il écrivait à sa famille. Il termina sa missive et signa. Après l'avoir cachetée, il appela le gardien de garde ce soir là, Paul.
- Qu'est-ce qu'il y a, 48456?
- Pourriez vous s'il vous plait poster cette lettre?
- Encore une lettre? Tu sais que ta petite famille ne t'a jamais répondu, depuis huit ans que tu leur écris. Heureusement que tu sors demain, qui sait. Enfin bon, j'irai la poster.
Il ne savait pas, lui. Il ne savait pas Paul, il ne connaissait rien de la douleur qu'on éprouve à l'abandon de sa famille, à la disparition des siens, du jour au lendemain. Ca faisait huit ans – Dix ans plutôt, si on comptait les années de procès – que Thomas n'avait plus eu de leurs nouvelles. Dix ans qu'il essayait de composer avec cette absence qui devenait de plus en plus insoutenable au fil des jours, des mois, des ans. Cela faisait dix ans qu'il n'avait pas vu son fils, qui aurait dû entrer en sixième, si sa mémoire était bonne. Cela faisait dix ans qu'il n'avait pas vu sa femme, sa chère Lucie, dont le manque se faisait sentir plus cruellement avec le temps. Mais comme l'avait dit Paul, demain, il sortait.
- Eh 48456, Un paquet pour toi.
L'appel de Paul tira Thomas de sa torpeur. Depuis combien de temps dormait-il, un heure, huit heures? En prison, vous perdez la notion du temps. Il se leva de sa couchette et attrapa le paquet que lui tendait le gardien. Après l'avoir longuement étudié, assis par terre, il se décida enfin à l'ouvrir. De nombreuses enveloppes tombèrent sur le sol. Certaines parraissaient anciennes, le papier était tâché et commençait à jaunir. Une seule était différente : blanche, étincelante, officielle. A l'intérieur, les papiers de sa sortie, ainsi que les papiers de l'hôpital psychiatrique qui le suivrait durant sa conditionnelle, soit pour dix ans encore. Thomas savait bien qu'il n'était pas tiré d'affaires.
les autres enveloppes contenaient toutes les lettres qu'il avait envoyées à sa famille durant toutes ces années. Elles lui avaient été renvoyées, la mention "adresse non trouvée" accolée a l'adresse qu'il avait lui même écrite. Mais c'est vrai que :
Lucie et Sam ADAMS
17, rue des nuages
PARADIS
C'était un peu étrange. Enfin. Thomas avait bien réfléchi avant de s'endormir. Aujourd'hui il sortait de prison, il irait directement au cimetière, sur leur tombe. Pour enfin faire son deuil. Après il se dirigerait vers l'hôpital pour permettre à une batterie de scientifiques de comprendre pourquoi cet homme d'apparence tout à fait normale avait tué une femme et un nourisson. Sa propre femme, et son propre enfant.