J'ai marché sous sa lumière pâle et attirante, j'ai marché de longues heures. Dans le froid, dans la neige, peu importe. Je suis bien partout à présent. Je laisse des traces diaphanes, à peine visibles dans l'étendue blanche. Personne ne pourrait me retrouver...si il y avait quelqu'un d'assez fou pour vouloir s'y essayer.
Cette après-midi, j'ai revu Clarisse un peu plus loin, dans son long et chaud manteau brun. Je l'ai reconnu tout de suite, c'est celui que je lui avais offert pour son dernier anniversaire. Une petite folie qui m'avait coûté cher...mais elle était si heureuse. Elle riait. Et puis, l'argent, quelle importance, désormais ?
J'ai crié, je l'ai appellée, je lui ai fait des signes. J'ai senti, ces quelques instants, renaître en moi cette flamme, cette chaleur humaine que je pensais perdue. Ce sentiment de vivre. Que cette sensation m'ait paru étrange me fait un peu peur. Je ne pensais pas l'oublier si vite.
Mais malgré cette flamme dont je sais maintenant qu'elle est vivante, elle ne m'a pas vu. Les sons ne sont pas sorti. Juste ce bruit sourd du vent d'hiver et les clapotis des flocons. Jamais je ne m'étais senti aussi impuissant.
Elle est resortie à quelques mètres de moi, et j'ai pu voir à nouveau son visage. Elle pleurait. Cruel destin, se voir ainsi frappé par le plus terrible des supplices, la pire des douleurs, simplement parce qu'on est resté ouvert au sentiments des hommes. J'aurais pleuré, moi aussi, si j'avais encore des larmes à donner. Mes mes yeux sont secs depuis bien longtemps...Je crois bien, malgré tout, que j'ai flanché sous le coup de la douleur. Mon amour...
Vous pourriez me traiter d'inhumain d'avoir repris ma route après cela, mais ma sensibilité n'est pas restée à chaud bien longtemps. Vous ne pouvez pas comprendre, pas encore. Mais un jour...bientôt, peut-être...on ne peut pas comprendre sans en être...
Et me revoilà sur le même chemin que celui qu'elle avait dû suivre. Autour de moi, la fôret est silencieuse. L'hiver a posé sa chappe sur les lieux, acculant dans leurs terriers tous ces animaux qui ont besoin de rester chaud. Y en a-t-il certains comme moi, qui n'ont plus ce genre de problèmes ? Je l'ignore. Parfois, un cri de corbeau résonne sous les feuillages. Eux aussi se jouent du temps. Il ne sont qu'à quelques battements d'aile du clocher du village. Le curé leur aura sans doute préparé des graines.
Me voilà au bout du chemin, au bout d'un pan de ce voyage éternel. Devant moi se dresse le cimetière communal. Moi qui y suis si souvent entré, je ne l'avais jamais vu ainsi. Sentiment difficile à exprimer que celui de voir soudain de l'autre côté de la lorgnette. Je pousse la grille grinçante. Tout est calme. Je remonte cette allée. Depuis longtemps, j'ai pris l'habitude, de temps à autre, de bifurquer à gauche après le monument aux morts, pour aller voir la tombe de mon grand-père.
Mais cette fois, j'ai continué, tout au bout. J'ai tourné à droite, dans cette partie qu'on avait agrandi l'été dernier. En prévision de ce peuple qui ne fait toujours que croître. Au bout de quelques mètres, je m'arrête. Je l'aurais reconnu entre mille, même sans le bouquet de fleur fraîchement déposé. Aurais-je la force, me suis-je souvent demandé. J'ai senti mes jambes me lâcher doucement. Je suis tombé à genoux dans la neige, sans bruit, sans douleur autre que celui de la lame glacée qui venait de se ficher dans ma dernière parcele d'humanité.. J'ai relevé un peu la tête, espèrant que la plaque allait e contredire. Sans espoir. J'étais devant un joli petit monument funéraire. Le mien.
Autour du bouquet de rose, un mot jaune brodé dans le ruban de soie noir.
"Je t'aime. Clarisse."
Je ne saurais vous dire comment tout a soudain disparu, emporté dans un cri inhumain, déchirant. J'étais froid, désormais. Totalement froid. Je ne voulais pas croire que l'on puisse ainsi errer sans rien d'autre que le vide.
Trop tard désormais pour pouvoir sortir un dernier adieu. Cet adieu que je n'avais pas vu venir, que j'ai raté jusqu'au bout.
J'ai précautionneusement pris le bouquet dans la main, et je m'en suis allé. Seul. Sans âme. Pour l'éternité.