J'ai l'impression que le temps s'arrête, en même temps que mes battements de coeur. Elle me regarde avec de grands yeux et je ne pensais jamais voir autant de mépris mêlé à la surprise dans ce bleu si pur. La bouche sensuelle encore entrouverte, son "non" résonne dans mes tympans comme un glas. Je ne vois déjà plus.
Dans le lointain, j'entends qu'elle ajoute "ça va pas, non mais il est taré lui ?!"
Et le son s'amplifie. Les rires des autres adolescents tout autour m'emplissent et me frappent, me heurtent et me blessent. Ma vue revient, à ma plus grande horreur : ils me montrent du doigt et se tordent d'une hilarité malsaine. Qu'ai-je fait, Ô Dieu ? Je sens que je chavire et sombre de plus en plus vite dans un océan de folie.
Je la regarde, je ne vacille plus. Je me concentre et sa chair pourrit par endroit, elle hurle et tente de s'enfuir. Mais elle enfle, devient si laide que certains vomissent. Sa bande me dévisage et semble terrifiée, alors je les tue. Les voici, ces fiers-à-bras, qui crachent leurs entrailles sur le sol moite alors que l'acné qui gagne leur visage se fait bubons et suinte, luisant dans la semi-pénombre du vaste garage. D'autres prennent peur, et la hache gigantesque que je tiens dans la main virevolte, tranche et taille dans les chairs impures de ces avortons. Aucun ne m'égale et je me fais justice ; bientôt, la soirée est un massacre et je patauge dans le sang, fiévreux et heureux. Je ne tarde pas à entendre les sirènes de la police, et sors pour détruire les voitures. Ils ne doivent pas m'attraper, parce que je détiens le secret de l'intelligence. Je suis un sage parmi les sages, et j'ai vu l'humanité devenir une plaie sur la Terre, alors je les tue tous. Ils doivent mourir. Je m'envole, parcourant les nuages, le visage fermé : je dois accomplir ma mission. New-York explose, et je remarque avec stupeur que les tours jumelles s'écroulent. Mais elles s'étaient déjà écroulées, pourquoi sont-elles ici ?
New-York explose à nouveau, sans les tours cette fois-ci. Je brûle la Terre, qui n'est plus qu'un caillou sans âme. Alice est devant moi et se moque, je piétine son visage en hurlant, mais elle rit toujours.
Une main délicate se glisse dans la mienne, et une voix cristalline lâche quelques mots tranchants sur un ton neutre.
"Laisse tomber... Dans trois, quatre ans, t'auras pas honte d'avoir été un con, au moins. Si jamais ils arrêtent un jour..."
Les rires s'arrêtent. Léa pose ses yeux sur moi ; je n'en reviens pas. Le cobra du lycée, que l'on surnomme ainsi parce qu'on ne se remet pas de sa morsure. Elle et moi ?
Nos sourires se croisent : nous nous sommes trouvés. J'ai perdu une bataille, mais j'ai gagné la guerre.
[Edit : faute corrigée et léger ajout pour une simple clarification]