Les Papillons [dramatique]

- Vole petit papillon envole toi…


Oui chante Sophie… Tu es si gentille, si douce, si innocente… Tu ne peux pas comprendre. Je sais que je t’exaspère à te dire que ce n’est pas de ton âge, mais c’est pour ton bien, si seulement tu savais… Dire qu’on veut me retirer ta garde à cause de ce gros porc de Perkman. Ce salopard qui ose être un membre du service de la petite enfance… Il sait que je suis à sa merci, il me l’a si bien rappelé… « Un jour, un homme seul viendra frapper à votre porte, et c’est avec votre enfant qu’il partira… ». Mais je ne pouvais pas le laisser faire ça ! Non je n’en avais pas le droit, lui non plus d’ailleurs. Et s’il faisait ça avec d’autres ? Et si tu n’étais pas la première qu’il ose toucher comme ça ?


- Maman, pourquoi tu pleures ?
- Chante Sophie… ne t’arrêtes pas …


Cela vaut mieux, tu ne dois pas savoir. Cet homme qui frappe depuis cinq minutes à la porte, c’est lui, c’est certain… Je sais que je n’étais pas majeure lorsque tu es née, mais à présent, tu as six ans, j’en ai vingt-deux, j’arrive à vivre, à te faire vivre, Pourquoi ?? Pourquoi on veut me l’enlever ? Mon bébé, ma chérie… Tout ça parce que j’ai empêché ce porc de te faire du mal…


- Vole petit papillon envole toi…


Que cette comptine est douce… J’en arrêterai presque de pleurer… Tu l’as apprise à l’école ma chérie, tu étais la seule à la connaître par cœur… Je suis si fière de toi Sophie, si fière… J’espère de toute mon âme que tu étais la première et que tu seras la dernière… Bien sûr, je pensais à la police, mais que diront-ils ? Qui croiront-ils ? L’agent BCBG qui s’occupe des enfants, ou la mère paumée et désespérée qui tente tant bien que mal de faire vivre sa fille ? Non il faut être lucide, on va me voler mon enfant, que je le veuille ou non, on me le prendra. Mais j’en suis capable ! Je peux la garder ! Je l’ai déjà prouvé ! Mais que valent d’implorantes promesses face à la froideur d’un rapport ? Rien… Je ne sais pas quoi faire, je ne sais plus quoi faire, que faire… Ses vacances avaient si bien débuté : toi ma Sophie avec moi, toi souriante, et moi aimante … Puis il y a eu l’une des venues de Perkman, puis il y a eu cet instant, c’était il y a trois jours, déjà… Il a commencé par te prendre la main, t’a emmené dans ta chambre, puis à commencer à… Non je ne peux pas…


- Maman, un Monsieur frappe à la porte !
- Je sais mon cœur, mais chante je t’en prie…


Me voilà avec toi, seule, dans le noir, dans ta chambre, couchée, te tenant de toutes mes forces, une dernière fois… Nous serons séparées, quoi qu’il arrive, que pouvons-nous faire ? Si, je sais… Non il ne faut pas ! Je ne dois pas penser à de telles choses, c’est… Et pourtant, nous ne serions plus jamais séparées… Mais comment puis-je songer ne serait-ce qu’une seconde à ça ??!! Et l’autre qui frappe toujours plus fort, et moi qui ne cesse de pleurer… La vie est si injuste… Et si la justice existait ? … Ailleurs… Oui ailleurs… Je regarde autour de nous : la fenêtre… On est au cinquième étage, c’est suffisant… Je m’approche du rebord avec toi mon cœur.


- Mais Maman qu’est-ce qui se passe ?
- Rien mon cœur… Rien… Chante mon cœur, tu es si belle quand tu chantes…


Il vient d’entrer ! La porte était encore ouverte… Je ne sais pas si je le veux vraiment, c’est si égoïste de ma part, mais je sais que sans elle je ne pourrais jamais trouver la force de vivre encore. Non, il faut le faire, plus jamais on ne nous séparera, plus jamais Perkman ne viendra, plus jamais nous n’aurons à le craindre. J’ouvre la fenêtre, il fait frais dehors, la douceur de l’air se retrouve frigorifiée par un léger courant d’air… Mais qu’importe, plus rien ne compte à présent…


- Mon cœur ? Tu veux encore me chanter une nouvelle fois ta chanson ?
- Oui Maman… Tu sais Maman, bah je t’aime…
- Moi … Moi aussi je t’aime ma Chérie…
- Vole petit papillon envole toi…


Ce sourire, sur tes lèvres, il restera à jamais figé dans mon cœur, pour toujours… Je l’entends, il approche, il va m’enlever mon enfant ! La fenêtre est toujours ouverte, je dois y aller, je dois le faire… Il va entrer ! Vite, allons-y, j’en ai assez de cette vie injuste… Nous n’aurons plus rien à craindre là où nous irons… Je t’aime mon cœur…






Monsieur Mc Alloway promenait son chien au même instant. Il vit une ombre au loin gisant sur la route. Il s’approcha, et vit une fille à jamais dans les bras de sa mère, baignant dans une mare d’huile, une mare de sang…