Une légère brise soulève le bas de mon manteau, je frissonne et attends le bus qui arrive. Enfin il arrive, je jette un regard noir au conducteur en retard de quelques minutes et ne le salue même pas et vais directement m'asseoir sur un siège libre. En face de moi la vitre me renvoie mon reflet. Je me trouve beau, la vingtaine, de longs cheveux bruns suivent le contour de mon visage d'ange tandis que mon costume noir est parfaitement repassé. La voix mécanique me sort de ma torpeur et m'informe du terminus, sur ma gauche une jeune étudiante me fixe mais je ne lui adresse aucun signe de sympathie et me dirige vers les portes. Dans un bruissement infernal elles s'ouvrent difficilement, je sors rapidement dans cet enfer de sueur omniprésente dans lequel se côtoient les hommes de tous niveau social. Mais ne dit-on pas qu'il faut connaître son ennemi pour mieux l'affronter ? Quoiqu'il en soit je commence à marcher d'un pas rapide vers les bureaux quand j'aperçois une chose inouïe ! Et oui, à quelques mètres de moi, un clochard me regarde d'une manière qui me met particulièrement mal à l'aise, j'en déduis qu'il veut probablement de l'argent et lui donnes généreusement un billet de cinq euros. Lui ne me réponds pas, il me fixe toujours avec ses yeux d'un bleu océan surréaliste, je ne lui en veux pas, tout le monde n'a pas reçu une éducation décente. Soudain je me prends conscience du retard accumulé avec cette étrange rencontre et me rends précipitamment aux marches du building. Le midi lorsque je vais manger avec des collègues au japonais qui se trouve un peu plus bas, il me fixe à nouveau lorsqu'il me voit comme s'il m'avait attendu depuis la matinée. Gêné je détourne le regard et reprends ma conversation avec les autres. Tout en mangeant mes sushis j'écoute distraitement les autres s'insurger contre certains politiques, discuter économie mais je ne cesse de me remémorer le visage de cet homme. Il est tout de même particulièrement perturbant qu'un déchet tel que lui me regarde, m'espionne à chaque fois, peut-être a t-il des tendances immorales. Je songe un instant à appeler la police pour le déloger mais le déjeuner se termine et je n'ai pas le temps de passer un coup de téléphone. En fin de soirée il est toujours là, à scruter le moindre de mes mouvements, je fais comme s'il n'étais pas là et grimpe dans le premier bus venu, qu'importe sa destination pourvu qu'il m'emmène loin de lui.
De nombreuses semaines suivirent cette rencontre et chaque jour le même scénario recommençait, je ne sortais même plus le midi pour ne plus le voir. J'ai pourtant donné un billet froissé de vingt euros une fois, mais non rien n'y fait il reste planté là à m'observer matin et soir. Chaque jour je perdais un peu de ma superbe et des cernes commençaient à apparaître sur mon visage alors que j'avais l'impression que ce clochard souriait un peu plus chaque jour. Un matin j'explosai " Mais que me voulez-vous ? Sa suffit de m'espier sans arrêt ! Allez vous-en, c'est un ordre ! ". Il se leva alors, retira son bonnet délavé, se rapprocha et me regarda fixement pendant un long moment, autour de nous les gens nous regardaient amusés, la scène semblait figée dans le temps. J'eu l'impression qu'il traversa tout mon être de part en part, dans ses yeux se reflétaient l'humilité et une immensité de sentiments tandis que dans les miens il n'y'avait que l'orgueil, la prétention et la colère. Il ne prononça pas un mot mais son regard me détruisit de l'intérieur. Il renfila son bonnet, prit sa couverture, son carton et s'en alla. A ce moment je compris que j'avais beau être splendide, riche, intelligent, ce n'était que ce qui formait mon enveloppe charnelle, je n'étais qu'une simple coquille vide. Maintenant je crois que ce qui me détruisit ce fût tout ce qu'il possédait en lui, des sentiments, de la sagesse, un profond respect pour les autres et cela se reflétait dans ses yeux. Ses yeux qui m'avaient semblés si surréalistes, quelle erreur ... Ils reflétaient seulement la grandeur de son âme. J'ai bien noté ce jour car c'était le plus important de ma vie, quant à lui j'imagine qu'il est allé ouvrir les yeux d'un autre petit prétentieux.