Couleurs [Essai]

Il hochait la tete tout en scrutant ses cubes. Il aimait vraiment cet orange que le carton faisait apparaitre nervuré. Il était un peu pale, dû aux affres du temps et des heures passées a être manipulé par des petites mains.
Il avait du en voir, cet orange, des petites mains passer. Ces petites mains jouflues et roses, caracteristique de tout les petits enfants. Elles étaient toutes du meme rose à l'intérieur, d'un petit rose rouge, quelque peu violacé, faisant ressurgir les fossettes des petits corps.
Son petit corps, tout habillé de bleu, jouait donc avec les cubes, qu'il tenait dans ses mains roses. Des couleurs lui passaient dans la tete, il ne savait pas parler, mais ces assemblages de nuances et de tons faisaient en lui, tout un profond travail.



Il dessinait a la mine sanguine sur une feuille blanche, ses traits épais éclairaient et compartimentaient la piece de papier, assaillie par cette mine grasse. Les traits orangés formaient un trait souple et continu, dessinant une femme.
Il l'aimait depuis la rentrée du lycée mais il était trop timide pour le lui dire. Il ne faisait que la dessiner, jours et nuits. Pour lui, c'était en quelques sortes se l'approprier que de la saisir dans ses mouvements et ses formes.
Elle était belle, sa peau était couleur ébène et il ne se lassait de regarder ses grands yeux jouer. Sa peau marbrée devait etre délicieuse, mais il ne pouvait que la croquer, de la pensée et sur sa feuille.



Elle ne venait pas pour lui, mais pour sa fille. Elle faisait des cours particuliers et ne se rappellait meme plus de son nom. Quand il la vit rentrer chez lui la premiere fois, c'était en été. L'herbe était verte et les fleurs étaient écloses, libérant leurs teintes dans le jardin.
Il se souvenait de sa peau matte et de ses yeux verts et rieurs, de son amour caché envers elle, et de sa mine qui courrait le papier. Son regard n'avait en rien perdu de son éclat doré.
Quand il referma la porte pour la derniere fois sur elle, ce fut en hiver. Il neigait abondament et tout était blanc. Son teint contrastait fortement avec le paysage, et ses habits jaunes et noirs lui allaient parfaitement bien.



Sa fille pleurait des larmes de douleur, amère et tenace, des larmes noires. Sa femme ne comprenait pas pourquoi il avait laché le fil doré de la vie. Elles ne savaient pas que les couleurs s'en allaient de sa vie, brillant patchwork de tout les métissages colorés.
Ces nuances, ces couleurs et toutes ces teintes avaient disparues, emmenant avec elles le sens de sa vie. Il ne pouvait plus que toucher l'herbe verte et lumineuse, plus que sentir l'odeur du pain chaud et doré.
Sa vie était partie en automne, les feuilles étaient d'un orange pale, dû aux affres du temps et des heures passées sur cet arbre, à être jouées par le vent.

Quand un peintre prend la plume, ça donne un texte d'une exquise beauté...

Ce texte chante, à la lecture. Les mots coulent, suivant un rythme particulier, les couleurs deviennent poésie, et tes phrases des lignes de partition.

Si il fallait trouver un défaut à ce texte - et croyez moi, j'ai longtemps cherché - ce serait cette phrase :

Citation :

Sa femme ne comprenait pas pourquoi il avait laché le fil doré de la vie. Elles ne savaient pas que les couleurs s'en allaient de sa vie

Deux fois "vie", sachant qu'un troisième arrive derrière.

Mais voilà vraiment tout ce qu'on peut, à mon sens, reprocher à ce texte d'une perfection délicate.

Continue, Peintre.

Dounette a écrit:

Continue, Peintre.

Marche, Femme

Merci beaucoup Dounette, ca me fait très plaisir, meme si je sais que tu manies l'hypallage et l'hyperbole a merveilles.

EDIT voir MP