Où est-elle? Elle n'en sait rien. Dans un immeuble aux murs d'un blanc immaculé, dépourvus de fenêtres. Géométrique, pourrait-on dire pour décrire ce qu'elle voit. Tout est carré, rectangle. Rien de fou, rien d'exubérant. Et des pièces, beaucoup de pièces. Toujours vides. Elle a beau les ouvrir toutes, il n'y a jamais rien d'autre que des murs blancs... Elle est à bout de souffle, car elle court. Pourquoi courir? Même si elle ne le sait pas, elle cherche «quelque chose» qui l'attire irrémédiablement. «Quelque chose» à quoi se rattacher, dans ce monde blanc. Encore une fin de couloir... Une dernière porte. «Quelque chose» est dedans, elle le sent. Alors, elle entre.
«Quelque chose» est un piano à queue noir. Ce piano l'attirait à lui, ce piano qui la rapproche à la réalité. Elle s'assoit. Il y a des partitions sur le piano; elle les regarde, encore essoufflée. Elle n'est pas sûre. Cette musique lui semble étrange, mais pourtant familière. Alors elle commence à jouer, par curiosité peut-être. Ou alors parce qu'elle sait qu'elle doit jouer. Les premières notes commencent à résonner. Elles se heurtent aux murs, comme des oiseaux aux vitres, violemment, puis reviennent en échos, mourir aux pieds du piano. Elle, elle ne regarde plus les partitions. Elle le connait, cet air, sait d'instinct le jouer. Il lui revient depuis le plus profond de ses souvenirs, alors que les notes jaillissent maintenant du piano en fontaine sonore. Elle ne le regarde d'ailleurs plus, ce piano, ces touches. Elle pleure. Cette mélodie lui arrache des larmes. De joie ou de tristesse, même elle ne le sait pas. Deux larmes perlent aux coins de ses yeux et vont s'écraser sur les touches. Ses émotions se lient aux notes. La mélodie change, se transforme en un rayon de soleil lors d'un matin brumeux, en un «Je t'aime», collés tous les deux sous un parapluie, par une pluie d'automne.
La mélodie berce cette jeune femme qui pleure ses émotions. Personne ne la voit. Personne, sauf moi. Ces notes, elle ne le sait pas, c'est moi qui les ai écrites. C'est aussi moi qui ai mis ce piano ici... J'ai même inventé ce monde de toute pièces pour elle, cette inconnue rencontrée dans le métro par un jour de pluie. Seule au milieu de la foule...Différente de la foule. Irradiant les gens de ses émotions, ces émotions qu'elle donne aux notes dans mes songes. Me touchant au coeur comme aucune autre inconnue ne le ferait. Un endroit particulier dans mes rêves, juste pour elle.
Et je pleure aussi. Je pleure parce que je ne la reverrai probablement jamais, parce qu'aucune autre personne dans ce monde ne serait capable de révéler ce qu'elle a révélé en moi et parce que personne ne jouera mes notes avec ces émotions la. Ces émotions qui coulent en filets, le long de ses joues et qui vont mourir sur les touches d'un piano à queue qui vient d'on ne sait où...