L'arrivée d'un flibustier

Ecumer les sept mers avait d’abord été un rêve, et puis par la force des choses, c’était devenu une réalité. Sur mon bateau, j’avais vécu les plus belles aventures, les plus grandes victoires, mais aussi mon échec le plus humiliant. Avec le recul, je réalisais que ma vie n’était qu’une fuite perpétuelle, une sorte de course-poursuite entre mes bourreaux et moi. La Flibusterie représentait pour moi la Liberté. Quelle belle niaiserie! Si je ne respecte aucunement les lois qui régissent ce monde, je n’en demeure pas moins un homme recherché, traqué sans répit.

La Marine Royale désirait me pendre haut et court. J’étais jeune et courageux. Le peuple m’avait pris en affection. J’incarnais sa révolte et son désir de changement. Si ma capture avait lieu, le glas de la piraterie sonnerait sur les océans. La domination navale serait alors totale. Les mesures prises à mon encontre ne tardèrent pas à faire leur effet. Mon existence se transformait en un véritable calvaire. Les pillages n’avaient plus aucune valeur à mes yeux. J’avais même fini par délaisser mon journal de bord, où je me plaisais jadis à griffonner mes quelques épopées. J’y inscrivais les récits d’abordages osés, d’un duel au sabre, ou alors d’une rencontre fortuite avec une jolie lady. La morosité s’était emparée de mon cœur comme un raz-de-marée balayant tout sur son passage. Ma fierté s’était brisée comme projetée sur un rocher. J’oubliais tous mes objectifs pour le futur. Je sombrais dans les abysses de l’affliction.

Les jours se succédèrent les uns après les autres jusqu’à ce qu’une page de ma destiné se tourne. L’espoir refaisait surface sous une forme singulière. Flottant au gré du courant, j’ai miraculeusement récupéré une bouteille de rhum. Elle contenait un morceau de parchemin glissé à l’intérieur. Je le parcourus considérant longuement le nom de l’auteur. « Dounette » , répétais-je inlassablement en caressant mon bouc, « j'ai déjà entendu ce nom quelque part mais où ? ». Je laissais finalement de côté ce détail pour m’attarder sur la carte. Celle-ci m’indiquait un lieu idyllique. Le pays de l’utopie, s’il existe ici bas. On l’appelait : « Les Mondes Blancs d'Aëringor ». Ni preuves, ni indices ne permettaient de certifier le document. Néanmoins, tout ce mystère avait égaillé ma curiosité. Etait-ce vrai ? Où avais-je rencontrer cette personne et qui était-elle ? Autant de questions qui se bousculaient dans ma tête. Il me fallait trouver les réponses.

Tout à coup, le vent se leva et les voiles se gonflèrent entraînant le navire. Le souffle continu accélérait notre avancé involontaire et si soudaine. Le drapeau claquait dans les airs comme pour acclamer notre départ. Pour ma part, je me laissais bercer par la magie de l’océan. Libre à lui de me conduire vers ma destinée ou de me précipiter vers ma fin. Tout cela me dépassait complètement. Je tachais simplement de profiter de ce spectacle presque irréel.

L’embarcation navigua nuits et jours sans interruption. La surprise fut totale lorsque la vigie, en haut d’un mat, hurla de toutes ses forces : "Terre en vue!" Dès cet instant, une joie intense me submergea. « Nous y sommes ! », constatais-je émerveillé. Je m’élançais vers la proue pour admirer le paysage. A l’horizon, une contrée se dessinait avec au loin quelques pics au sommet enneigé. Autour du bateau, les mouettes nous montraient la voie à suivre. Il me tardait de poser pied sur ce continent. J’étais totalement conquis par son charme. Je me souvenais du passé, non sans nostalgie. Une vie nouvelle s’offrait à moi. Je regardais cette étendue le regard pétillant. Puis, j’inspirai profondément avant de déclarer avec fougue: « Je m’appelle Jester ! Me voici peuple inconnu !»

Debout sur le parapet nord des ramparts magestueux de la cité d'or des mondes blancs d'Aeringor, Dounette, les cheveux au vent, baissa enfin ses bras tremblants. L'incantation avait été longue et fatiguante. Elle laissa aller son corps épuisé contre les pierres encore chaudes, et fixa en souriant le petit point gris qui grossissait à l'horizon. Le bateau fillait à toute allure vers le port. Elle ne regrettait pas ses efforts pour amener le bateau jusqu'à cette terre promise, elle savait que son vieil ami y trouverait le repos auquel il aspirait. "Jester..." murmura-t-elle en souriant. Elle se souvenait encore de ce petit garçon qui l'enchantait avec ses histoires de corsaires courageux et d'exploits futurs et héroiques. Qui aurait cru que ces rêves enfantins deviendraient réels? Il avait même surpassé ses fantasmes d'enfant, en devenant le plus célèbre pirate de tout le continent oriental.
Dounette n'avait jamais oublié son petit camarade d'école, ni leurs folles courses dans les ruelles crasseuses des bas quartiers de leur ville natale.
C'est pour cela que, lorsqu'elle avait appris les récents déboires du grand pirate, elle avait pris la décision de l'attirer en des eaux plus calmes.

"Je m'appelle Jester! Me voici, peuple inconnu !"
Dounette secoua la tête en souriant : Jester n'avait vraiment pas changé.