Auteur: Voilà ma 2ème nouvelle. Faite elle aussi dans l'optique d'un concours (Le Prix Clara), elle traite d'un thème que j'affectionne tout particulièrement: l'optimisme. Cette nouvelle m'a pris énormément de temps et est le fruit de beaucoup de travail ; j'espère que vous trouverez L'optimiste à votre goût.
Détails: Un travail d'environ 23 heures réparties sur 4 jours. Scénario issu d'une histoire vraie. Après réflexion et sur les conseils d'Ambre Mefiol, un saut de ligne a été réalisé entre chaque paragraphe.
Bonne lecture !
L’optimiste
«
Il ne faut pas lier un navire à une seule ancre, ni une vie à un seul espoir. »
Epictète
Je suis le premier à dire qu’il faut toujours regarder devant soi ; et pourtant cette fois-là j’ai été le seul à me planter dans le mur. A 15 ans j’étais cependant plutôt raisonnable, ou disons responsable : le premier sonne comme monotone. Et ayant été élevé par des parents artistes, je dois avouer ne pas avoir souvent côtoyé ce terme quand j’étais au berceau.
Toujours est-il qu’après une soirée mouvementée, j’avais décidé de jouer les prolongations avec un ami. Maxime donc, devait dormir chez moi. Le verbe se révéla toutefois un tantinet inapproprié.
Aux environs de deux heures du matin, on s’installait devant la télévision. Après avoir branché quelques câbles, nous étions fin prêt à massacrer de l’alien à tour de bras sur notre console. La partie n’était effectivement pas prête de s’arrêter et pour ajouter un peu de piment à la chose, quelques bouteilles traînaient à portée de bras. Plusieurs heures avaient passées et Morphée attendait en vain.
Maxime en avait eu plein les mirettes et était allé se coucher au bout d’un long moment. De mon côté, je continuais encore et encore. Après tout, je n’étais pas à court de munitions ni de temps. Mais de sommeil si, comme j’allais le découvrir. Vers neuf heures mon frère d’armes se réveilla enfin, les yeux plus rouges qu’un sens interdit.
Après une sorte de petit-déjeuner où il s’agissait de ne pas manger les couverts par inattention, nous avions décidé de remettre ça. J’étais cependant un peu inquiet car mes mains avaient tremblées alors que je tentai de manger quelques céréales. Je sentais que quelque chose ne tournait pas rond. A vrai dire, je commençais à me demander si cela tournait tout court là-haut. Mais comme les joueurs de casino qui perdent jusqu’au dernier de leur jeton, j’étais prêt à aller jouer quitte à perdre le dernier de mes neurones.
Ainsi après nous être traînés jusqu’à un cybercafé, la frénésie du jeu avait repris le dessus. Mais ma souris semblait de plus en plus lourde, et des tics faisaient leur apparition. J’avais l’impression d’être un jockey sur son cheval.
Les milles et unes lumières de l’ordinateur m’attiraient, et une fois de plus je n’avais pas trouvé la force de leur résister. J’étais Ulysse et cet assemblage de tôle et de câbles était ma sirène. Manque de bol, je n’avais pas de cire d’abeille pour me boucher les oreilles ou de corde pour m’attacher. Alors qu’une nouvelle partie endiablée allait commencer, et bien à vrai dire...
Et bien à vrai dire, rien. Absolument rien. A partir de ce moment-là, deux histoires existaient. Pour les médecins et le reste du monde il n’y a jamais eu qu’une seule version, mais pas pour moi. L’une est contée par ceux qui m’entouraient, témoins de bonne foi aux cerveaux éclaircis. L’autre, seul mon cerveau embrumé me l’avait dicté. Par quelles astuces il avait bien pu la fourrer au plus profond de ma conscience, cela reste un mystère.
Selon moi, j’aurais donc achevé cette fameuse partie. Après quoi, poussé par la faim et entraîné par mon ami, nous serions sortis du bâtiment. Effaré par mon teint farineux, il aurait appelé les pompiers qui m’auraient eux-mêmes transporté jusqu’à l’hôpital. Je me rappelle de chacun de leurs traits, et même de certaines de leurs paroles. Et pourtant, paraît-il, je n’avais pas ouvert les yeux. Et pourtant...voilà des mois que je me répète ces deux petits mots ; en vain. Voilà un mystère dont la clef s’est tordue il y a déjà longtemps, et je ne pense pas pouvoir un jour la réparer.
La réalité me semblait bien plus incroyable à avaler, et même le temps ne m’avait pas aidé à la digestion de la chose. La partie aurait belle et bien commencée et se serait prolongée sur quelques minutes. Comme un boxer vaincu, je me serais écroulé par terre, terrassé. Mon adversaire électronique m’avait mis un uppercut dont le souvenir s’était gravé en moi. Une fois au sol, je me serais mis à trembler comme une feuille au vent. Maxime quand à lui assistait à ce court-circuit général. L’espace d’un instant il s’était pris à croire qu’il s’agissait d’une de ces blagues douteuses dont j’avais le secret ; une imitation de l’exorciste peut-être. Mais l’arrivée en fanfare des pompiers, précédés de leur sempiternel hurlement en mi-do, avait achevé de le convaincre. Ils m’auraient alors embarqué avec eux jusqu’à l’hôpital le plus proche.
A partir de cet instant, réalité concrète et délire immatériel se fusionnèrent comme deux branches d’autoroute. Cependant, les premières minutes qui suivirent mon réveil étaient autant de chemins aux directions variées et zigzagantes. Je repris conscience sur une chaise dans le hall d’hôpital. Je ne savais absolument pas le pourquoi du comment de ma présence ici. J’étais le Robinson Crusoé des couloirs, avec la barbe en moins. Vendredi se présenta sous la forme charmante d’une jeune infirmière. En quelques mots elle m’expliqua ce qui était arrivé. Elle repartit l’instant d’après, affairée à guérir des inconnus. Un ange passe puis s’en va.
Je me décidai à appeler ma mère. Inquiète, elle me demanda où j’étais. Dans un éclair de stupidité, j’eus le génie de répondre « Je ne sais pas ». Elle insista. Je finis par lui céder que j’étais aux urgences. Hurlement au téléphone et branle-bas de combat. Ma notion du temps était alors très vague, mais connaissant ma mère, elle avait du arriver très promptement.
Pour ce qui est des heures qui suivirent, elles se résumèrent à des tests médicaux divers et variés. A vrai dire, je ne prêtais absolument aucune attention à ce qui passait autour de moi. J’avais une irrépressible envie de dormir, et rien ne m’aurait empêché de sombrer doucement dans le sommeil. Sauf peut-être une barquette de fraises ; j’avais aussi très faim.
J’étais en pleine forme, mais l’on m’avait forcé à passer la nuit de Noël à l’hôpital ; on attendait toujours les résultats des tests. Je marinais bêtement dans ma chambre, parcourant frénétiquement les pages des livres que l’on m’avait offerts. Je tuais l’ennui pour éviter que l’inverse ne se produise. Le lendemain matin, on m’annonça que ma perte de connaissance était une crise d’épilepsie. La nouvelle m’avait un peu abattu, mais je réussissais à relativiser : le risque d’une tumeur au cerveau n’était plus que le fantôme transparent d’une peur d’antan.
Les jours passèrent et ma fatigue avec. J’étais en pleine forme et malgré les nombreux examens médicaux et autres évènements un peu stressants, je réussissais à garder le sourire. Moi qui la jouais généralement poète maudit, j’avais endossé le rôle de l’optimiste. Toujours est-il que nous avions pris rendez-vous avec une autre neurologue, sur les conseils du précédent médecin. Celle-ci, que je nommerais madame Peste, devait me jouer un tour dont la musique résonnerait longtemps dans ma mémoire.
Quelques minutes seulement après notre arrivée, elle me déclara avec assurance que je souffrais d’une grave maladie génétique. Ma mère protesta quelque peu, mais elle était encore trop étourdie pour opposer une farouche résistance. Cette femme enchaîna avec la stricte nécessité pour moi de suivre un traitement à vie, sans quoi je m’exposais à des conséquences mortelles. Elle ne se contentait pas de remuer le couteau dans une plaie encore fraîche ; elle enfonçait des pieux là où je me portais pour le mieux. Avant l’entrée dans ce cabinet, j’étais un adolescent en pleine forme. A la sortie, j’avais le sentiment d’être un vieillard très fatigué attendant d’être fauché par le vent.
Malgré cela, je souriais. Pas pour moi, non. Mais pour ceux qui se préoccupaient de mon sort. Ce masque accroché à mes lèvres, je ne le retirais que le soir, lorsque j’étais face à moi-même. Plus besoin de bluffer qui que ce soit, le miroir de mes pensées ne reflétait plus que mon image. C’était dans l’obscurité que j’affrontais mes plus grands adversaires. Mais je me défendais et les mettaient toujours au sol. Mon épée était l’ironie, mon bouclier la joie. Il fallait bien cet équipement pour envoyer au tapis le désespoir et la fatalité.
Mais un malheur ne survient jamais seul. Et effectivement, le mien avait emporté avec lui toute sa petite famille : le fils, la mère, le père, les cousins et les tantes allaient y mettre du leur. J’étais devenu une entreprise familiale sur lequel le destin s’acharnait.
Après cette entrevue avec madame Peste, nous avions décidé de prendre un week-end de repos en Normandie. Armés de biscuits au chocolat, de mandarines, et d’un double CD collector de Claude François, nous étions fin prêt à nous lancer à l’aventure. La première heure et demie de route se déroula sans incident notoire, sauf peut-être la pénurie de mandarines. Il restait heureusement cette musique chère à nos oreilles et quelques gâteaux. Nous nous apprêtions à doubler un monospace sur le toit duquel était accroché un baby-foot, quand celui-ci se décrocha. L’énorme jouet s’envola dans les airs et se dirigea à toute vitesse vers notre Twingo. Je n’eus même pas le temps de voir ma vie défiler devant moi. Mais par un heureux miracle, la masse fut déviée par le vent et ne fit que rebondir sur le coin supérieur du pare-brise. Immédiatement, je repérai une borne de secours et prévenai la police routière. Le reste du trajet fut calme et nous pûmes arriver sans plus de dégâts.
De retour à Paris, après un voyage où chaque voiture était consciencieusement évitée, une petite surprise nous attendait. Le mur de la cuisine, plat et propre à la base, était mitraillé de grosses cloques et de fissures. Par une habile manœuvre, le chantier qui s’opérait dans la maison voisine avait inondé notre mur. D’où l’état pitoyable de celui-ci. Pour être franc, toutes ces petites péripéties qui s’accumulaient commençaient à me peser sérieusement sur le moral. Mon masque se fissurait lentement.
Etrangement, mon optimisme me permettait de passer au-dessus de tout ; j’attendais que quelque chose se produise. Patient, je luttais pour conserver ma bonne humeur, en attendant des temps plus propices. Par quel miracle avais-je pu prévoir cela, mystère, mais les mois suivants allaient me donner raison. Des éclaircies commencèrent enfin à percer ce ciel si sombre qui me surplombait constamment.
Ma crise m’avait fait abandonner les jeux vidéo : je ne pouvais plus voir une console en peinture. Mon emploi du temps s’en retrouva troué comme un gruyère. Pour remplacer cette activité par une autre, je décidai de passer plus de temps à écrire. La découverte d’une communauté d’écrivains soudés et motivés m’avait aidé à retrouver le moral. Quelques-unes de mes nouvelles furent même saluées par des personnes que j’estimais beaucoup. Ecrire m’apportait désormais un sentiment de plaisir intense que je n’aurais sans doute jamais découvert sans mon accident. J’avais l’impression de pouvoir enfin boire à l’eau fraîche d’une oasis, après plusieurs années perdues dans un désert où je ne cherchais que moi.
Cette nouvelle passion fut rapidement accompagnée par une autre bonne nouvelle : le retour de mon frère à Paris. Celui-ci faisait un stage dans un hôtel qui s’était avéré miteux. Ayant fait des pieds et des mains pour revenir à Paris et prendre de mes nouvelles, il avait abandonné son précédent établissement. Coup de chance incroyable, il fut recruté dans un des plus grands hôtels Parisiens. Cet emploi allait lui permettre des débouchés qu’il n’aurait pas eus autrement.
Dans un tout autre style, la lente déconfiture de notre mur avait dévoilé une superbe façade en briques. Cela faisait très jazzy, et au final il était encore plus beau que le précédent ! Mon accident de voiture permis de refaire la voiture de A à Z sans oublier un seul accent, grâce à l’argent de l’assurance. Ma mère était aux anges.
Le dégât des eaux nous amena à rencontrer nos voisins. Eux-mêmes cheminaient depuis des années dans l’étrange nébuleuse de l’épilepsie. Ils parvinrent alors à nous obtenir un rendez-vous avec l’un des plus grands neurologues, le professeur Dulac. Malgré le cynisme dont je faisais preuve et le peu d’importance que je semblais attacher à cette nouvelle chance, je mourrais d’impatience de le rencontrer.
Dès le premier instant où je l’aperçus, il me donna l’impression d’un antique sage grec avec sa barbe blanche et ses cheveux frisés. Le professeur Dulac rencontré grâce à un dégât des eaux... s’agissait-il encore une fois d’un coup du sort ? Quelque soit celui ou celle qui dirigeait tout cela en haut, cette personne avait un sens de l’humour très décalé. En repensant à ce jeu de mots, je ne pouvais m’empêcher de penser au chevalier du lac, autrement dit Lancelot. Car d’un seul coup de son savoir Excalibur, il abattit tous les doutes et toutes les mauvaises pensées qui me rongeaient. En moins d’une demie heure, il m’avait prouvé que mon traitement n’avait plus lieu d’être. Il venait de me vacciner contre la Peste. En entrant dans son cabinet, j’étais un adolescent à mi-chemin entre la joie et la tristesse. En sortant, je fonçais sur une autoroute de bonheur.
Le voyage du retour fut l’un des plus beaux moments de ma vie. Pour la première fois depuis des mois, j’ôtais mon masque : il m’était inutile désormais. Un sourire de bonheur intense inondait mon visage de joie et de chaleur. Sur la musique de « Tea for two », nous traversions en voiture les plus belles places de Paris. Les monuments semblaient me faire des clins d’œil, le soleil explosait de lumière ; j’étais heureux ! Tous les évènements qui m’avaient traînés à terre, tentant de m’enterrer sous une couche épaisse de désespoir étaient partis, vaincus. Mais en bons perdants, ils avaient transformés tous leurs actes en quelque chose de merveilleux. Le mur, l’accident, la crise, madame Peste : merci à vous.
Je crois avoir découvert que l’optimisme est une pierre philosophale qui peut transformer le malheur en une source de joie.