Il errait avec son épée gravée des lettres d'une langue morte, dont le sens lui échappait. Sa compréhension n'excedait pas le tranchant avec lequel il épluchait les pommes chapardées dans les vergers de grands propriétaires.
Au 21ième siècle, les dragons n'avaient jamais existé, les épopées non plus. L'esprit rationnel, comme on dit, les avait balayé, comme on essuie une table après un repas. C'était bien ça, se débarrasser des restes échappés de l'assiette. La science civilisait l'homme, lui apprenant à tout garder dans la vaiselle, à ne pas déborder avec son imagination sur la table. Alors oui, les dragons n'avaient jamais existé, et les épopées folles non plus. Mars était une planète, les esprits un coup de vent, les centaures un produit de la conscience collective, le ciel une atmosphère, l'amour une relation chimique, la terre est ronde.
Mais il savait celà. Il savait que son épée en plastique gris ne reflètait pas le soleil de Provence, et que les lettres formaient 'made in Taiwan', ce qui voulait dire que dans trois jours elle serait cassée.
Mais il avait prévu de la casser bien avant ces trois jours, sur la tête échevelé de son plus grand ennemi, Ougandi.
Ougandi était un monstre de pierre aux yeux rouges comme des rubis. Chacun de ses pas remuait la terre, de ses pieds s'échappaient des milliers d'éclairs, comme des racines d'un arbre. Ougandi était invinsible, immense, terrifiant, abjecte, monstrueux. Ougandi n'avait pas peur de lui.
Mais Ougandi perdrait, parce qu'Ougandi n'était qu'un reste d'imagination, et il se ferait gagner contre lui. Et puis même, il ne pourrait perdre contre rien.
Comment donc devait-il s'y prendre pour y croire encore? Il essayait, ses yeux scruptant l'horizon, il essayait de dessiner Ougandi. Il essayait de lui donner une existence, mais il se rappelait bien vite qu'Ougandi était mort avant d'être né.
Finalement, il fracassa son épée contre un rocher, et l'espace d'un instant, il crut entendre un hurlement à déplacer une montagne.
Fadaises. Les dragons n'ont jamais existé, et les épopées non plus.